Noël approchait à grand pas et Eternia avait sorti ses plus belles décorations. Comme chaque année, un marché de Noël se tenait un peu partout en ville, les cabanes poussant comme des champignons. Il y avait des stands d’art artisanale, une bonne odeur de vin chaud et de gaufre, sans oublier les irremplaçables musiques de Noël.

La nuit était tombé, les guirlandes scintillaient et les gens souriaient. C’était une belle soirée qui s’annonçait… Tout du moins je l’espérais.

M’étant porté volontaire pour participer à la vente de diverses décorations et habits conçus par les petites mains du pensionnat, je ne pensais pas trouver le temps long sur la fin de mon travail. Non pas qu’il n’y avait pas d’occupation, loin de là, la clientèle se manifestait toujours pas vague… Mais moi aussi je mourrai d’envie d’aller grailler un coup et me balader dans le marché de Noël… Sans compter le pain d’épices que je devais acheter pour ma mère. Plus que trente minutes à tenir...

J’observais les illuminations, l’air rêveur, attendant que mon prochain client ne me tire de mes songes en sursaut.

Ils avaient fait fort, une fois de plus, concernant les décorations du marché de Noël. Je ne les comptais plus, tellement elles étaient nombreuses. Mon regard continua de s’égarer dans ce spectacle de lumières jusqu’à ce que…

Ma bulle d’évasion s’éclata lorsqu’une voix féminine s’adressa au rêveur que j’étais. Le retour sur Terre m’avait un peu chamboulé et il fallut quelques instants à mon cerveau pour comprendre et assimiler la situation actuelle, me laissant un peu penaud.

- Bonj-soi-our ?

Oula, ça commençait mal. Quelle heure était-il ? Est-ce qu’on disait encore bonjour ? Je suis paumé.

Secouant la tête, je ramenais les quelques neurones qu’il me restait à contribution de ma nouvelle cliente. Elle semblait chercher quelque chose de bien précis, évitons de la décevoir davantage.

- Bonjour, des décorations ? Et bien vous êtes au bon endroit, mademoiselle.

Reculant un peu, j’observais les décorations qu’abritait le stand, cherchant de fameux ange en verre. On avait la chance d’avoir quelques artistes souffleurs de verre, de quoi contenter madame. Par contre quelque chose qui bouge…

- Je vais vous réunir quelques trucs, vous me direz si quelque chose vous convient. N’hésitez pas à regarder ce qu’il y a sur le stand.

Je me retournais et me baissais pour fouiller dans les cartons. Rapidement je sortis trois objets : un ange en verre pour le sapin de Noël, un classique ; une guirlande de petits anges qui scintillent et font de la musique et enfin une belle structure de 30 centimètres avec un ange animé entouré de neige et de bougies. Cette dernière proposition était la seule dont l’ange bougeait réellement.

- Et voilà ! Annonçais-je fièrement, le sourire aux lèvres. J’espère qu’il y aura de quoi satisfaire vos attentes, toutes ces belles choses ont été réalisées par les petites mains d’artistes du pensionnat. J’ai aussi des guirlandes en verre, mais il n’y a pas d’ange dessus. Et aussi, tout peut être agrémentée de guie et de fleurs de noel. Qu’en dites-vous ?

Bien trop concentré à contenter la demande de ma cliente avec les diverses belles décorations qu’abritait la petite cabane, je n’avais pas de suite remarqué les sous-entendu de la demoiselle. En même temps, ce n’était pas comme si ce genre de chose me traversait l’esprit au boulot…

Ce n’est qu’au contact de sa main par-dessus la mienne - même si ce fut bref -  que je compris que quelque chose ne tournait pas rond. Sans compter sa dernière question et son air aguicheur… Ce n’était pas le plus beau des clichés que l’on pouvait se faire d’une femme qui se présentait devant moi.

Je continuais de feindre l’ignorance, me convainquant que je réfléchissais trop pour mieux faire passer mon jeu d’acteur. Je tentais de ramener la conversation sur les objets.

- J’espère bien, vous ferez des heureux et propulserez de nouveaux talents sur le marché en soutenant leur dur labeur. Avez-vous une préférence sur ces trois articles peut-être.

Le sourire aux lèvres et l’air innocent, je sentais cependant un drôle de sentiment, comme une sorte d’attirance et de méfiance mélangées. La demoiselle avait un parfum particulier, bizarre que cela se remarque autant...

Ne pouvant laisser sa question sans réponse, je me permis d’ajouter.

- Vos questions sont étranges... Pourquoi suis-je ici ? Méchant garçon ? Je ne vois pas le rapport avec les anges, mais soit. Je ne fais que le travail que l’on m’a assigné en échange d’un petit salaire. Alors, s’il vous plait… Hm… n’exposez pas autant vos atouts. Cela pourrait gêner les autres clients, même si vous êtes une vilaine fille de votre côté.

Bien que je savais qu’il n’y avait pas grand monde autour de nous… Ne me dites pas que c’est l’une de ces éclaireuses qui vous emmènent dans des clubs ou soirée privées douteuses….

Bien que la conversation avait pris un tournant assez “spécial”, la demoiselle désigna l’une des décorations angéliques que je venais de lui proposer. Pointant l’ange mobile du doigt, elle sourit malicieusement, complimentant son créateur.

Je souris en retour, satisfait d’avoir de nouveau des questions “normales” ou plus propices à la situation actuelle.

- Je confirme, tout le monde ne serait pas capable de fabriquer de tels objets. On dirait presque que c’est magique.

Oh non… Voilà que la discussion retourne au point mort…

Loin d’être pudique ou timide, c’était plutôt pour les autres passants que je me sentais gêné. Ce genre de comportement me rendait plus blasé qu’intéressé, voire même indifférent. Un corps restait un corps et je ne le trouvais attirant que sous certaines conditions, aussi beau pouvait-il bien être. Sans un minimum de sentiments, je n’en voyais pas l’intérêt.

Alors pourquoi mon regard venait-il de s’aventurer l’espace d’une micro-seconde au niveau de sa poitrine ? Louche. C’était louche, tout ça…

- Cette décoration coûte 35 euros, prix non négociable, répondis-je un peu plus sèchement qu’avant. Évitez peut-être de parler ainsi aux personnes qui vous entourent, c’est assez embarrassant quand la personne en face ne souhaite pas entrer dans votre jeu de séduction, aussi altruiste que je puisse être. Puis ce n’est pas le tour de poitrine qui rend cette dernière plus jolie ou intéressante…. Hm…

Pardon ? Qu'ouïs-je de ma propre bouche ? Jamais je n’aurais dit ça à qui que ce soit d’un ton aussi naturel et évident. WTF ?

- Achetez ça et barrez-vous, m’exclamais-je tout en commençant à piquer un fard. Je ne sais pas qui vous êtes, mais ça commence à devenir vraiment bizarre depuis que vous êtes là et j’aime pas ça !

Il était bien rare que je m’emporte ainsi, notamment auprès d’une cliente. La situation m’échappait et ce simple fait à lui tout seul venait de me faire paniquer. Cette jeune femme dégageait une aura, un on-ne-sait-quoi qui me destabilisait. Tout comme moi, elle n’était clairement pas humaine… Mais quelle créature dans le bestiaire légendaire pouvait créer ce genre de situation ?... Je crois que je l’ai sur le bout de la langue…

Malgré ma gueulante désespérée, la jeune femme me répondit avec un sourire et avec calme. Je rougis, honteux de mon comportement enfantin - au risque de lui faire croire que je rougissais à cause de ses propos.

- Excusez mon débordement, ce n’est pas une question de ne pas s’écouter... Je n'ai pas spécialement envie de parler de mes préférences à une inconnue, marmonnais-je tout en récupérant l’argent soigneusement déposé, la remboursant des quelques pièces en trop.

Elle se présenta sous le doux nom de Lorelei Heartfield.

Mon regard se posa à nouveau sur le visage de la blonde et mon air tourna à l’étonnement, puis la crédulité. Elle fit un clin d’oeil avant de partir avec la décoration angélique, me laissant là, moi et mes questions. Je me mordis le bout du pouce.

- Lorelei… Ce n’est pas la petite amie de Raphaëlle ? Elle était quoi encore…

Succube.

A bah, il a eu bien du mal à sortir ce mot là. Le déclic s’opéra dans ma tête alors que mes joues retrouvaient une couleur normale progressivement. Même mes mains froides n’avaient pas accéléré le processus de refroidissement. Je me sentais honteux de mes réactions, mais d’un autre côté j’étais soulagé qu’elle soit partie. Allez savoir si j’étais dans son viseur de chasseuse…

La demi-heure qui suivit fut plus calme, ce qui n’était pas plus mal. J’avais gâté trois autres clients avant qu’un autre étudiant bénévole ne vienne prendre le relais du stand. Je le saluais avant de finalement m’aventurer dans le marché de Noel.

Bien que j’y étais depuis des heures, je n’avais pas encore fait le tour des chalets. Bien que l’hiver n’était pas ma saison préféré, je ne pouvais nier le fait que les festivités faisaient envie. Toutes ces illuminations… L’ambiance, l’odeur des marrons et du vin chauds sans compter les oeuvres d’art qu’on voyait de ci et de là.

Mon attention s’arrêta sur un stand précis : la bouffe.

Ah que j’étais content.

Ah que j’étais content d’avoir mes churros bien chaud avec du chocolat par dessus.

- Du gras, du sucré, du chaud, rien de mieux pour combattre l’hiver et être en pleine forme ! déclairais-je en mordant à pleine dent dans l’une des sucreries.

J’avançais, ravis, planifiant mes achats de la soirée. La grande roue était toujours de sortie, elle-aussi… Dommage qu’il n’y ait pas un.e ami.e dans le coin avec qui pouvoir faire un tour…

Tête en l’air que j’étais, je scrutais les moindres détails de la grande roue tout en marchant. Je n’échappais malheureusement pas à la fameuse bousculade - celle qu’on ne nomme plus, transpirant le cliché. Je n’avais aucune idée si du chocolat s’était fait la malle au passage.

- Oh purée, pardon ! Je… Ah… Mes plates excuses...

On se demandait bien de qui il pouvait bien s’agir, n’est-ce pas ?[/color]